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Les plus rationnels d’entre nous diront sans doute que d’être jaloux d’une plante est absolument ridicule. Des personnes d’une si grande logique pourraient même être tentées d’aller plus loin, et de souligner que l’idée même d’un amphibien exprimant des sentiments d’envie est risible, point à la ligne.

De tels personnages pourraient tenir ces propositions avec des raisons légitimes, si ce n’eut été pour le fait que je ne suis pas un crapaud ordinaire.

Avant d’aller plus loin, je pense qu’il est utile de préciser (pour références) que je ne suis pas une créature normalement soumise à l'esclavage de la jalousie. Je dirais même qu‘au contraire, je suis un crapaud d‘une nature des plus généreuses: aimant, attentionné et par-dessus tout, noble. Vrai, j'ai l'esprit aventureux et suis sujet, de temps à autre, à une pointe de nomadisme; mais de tous temps Neville Londubat a eu en moi un animal domestique loyal et fidèle, et je l’ai accompagné depuis le jour où j’ai été engendré.

Malheureusement, force m’est de croire que le piètre traitement dont je souffre actuellement est le produit d‘une discrimination due à mon âge, signe tragique des temps modernes. Le fait est que les gens n’aiment pas à être remémorés de leur propre mortalité. Prenez grand-oncle Algie par exemple, c’est lui qui m’a acheté, m’a sélectionné parmis tous les têtards de l’aquarium, mais même à l’époque ce n’était pas un jeune coq: il avait déjà les cheveux gris et des taches de vieillesse. Cependant, au cours de ces deux dernières années, j’ai remarqué qu’il m’observait avec ce qui ne pourrait être décrit que comme «un drôle d’air». Il y a cette lueur calculatrice au fond de ses yeux délavés à chaque fois que mon arthrose aux genoux me fait m’avachir et il y a sa façon obsessive de chercher des rides entre mes verrues quand Neville n’est pas dans les parages. Oh oui, tous cela ne menait qu’a une seule chose.

J’avais compris ce qu’il avait derrière la tête avant même qu’il ne parte pour ses petites vacances en Assyrie (il disait que c’était pour ses nerfs: je savais que c’était pour le hachish, mais cela c’est une autre histoire). Pas que Neville n’en ait eu la moindre idée, le pauvre agneau. Non, il prit son grand-oncle pour un ami lorsque celui-ci lui offrit d'examiner ma palmure pour des traces de pied-d'athlète: je savais qu’il ne voulait que vérifier si j’étais encore capable de donner des coups de pied, et je le lui ai prouvé en lui en plaçant un en plein sur son énorme nez. Alors que je prenais de l’âge, Algie en prenait aussi et il n’aimait pas cela. Il n’aimait pas l’idée que la Grande Faucheuse puisse, un jour, pointer son instrument sur lui, et il espérait en retarder l’échéance en lui offrant une créature plus jeune en remplacement.

Cela étant dit, c’est donc en Assyrie qu’il trouva cette plante en pot ridicule, celle que tout le monde aime seulement parce qu’elle a ce nom latin prétentieux, Mimbulus mimbletonia. Quelle absurdité. Je refuse catégoriquement de m’adresser à lui d’une manière aussi démodée et lui ai donc attribué un surnom en conséquence: Malcolm. Je pense que Malcolm n’aime pas beaucoup son surnom car à chaque fois que je l’emploie, ses pustules frémissent.

Je n’avais au premier abord pas été inquiété quand ce viel Algie ramena cette plante. De fait, j’étais même plutôt content de la distraction à cause de cette charmante grenouille-buffle à la Grande Mare dont je voulais faire la connaissance. Ainsi, la fascination instantanée de Neville pour la plante me laissait plus de temps pour mes rondes habituelles et de savourer mes promenades de santé matinales. Neville, il est vrai, donna à l’horrible chose une place près de son lit, lui parla et la caressa incessamment, mais je n’en fis pas grand cas: après tout, Nevillle est un bon petit botaniste et c’est un hobby que j’encourage car source de nourriture supplémentaire pour moi. Mais Malcom ne possède même pas de fleurs pour m’attirer quelque encas. Pour tout dire, ce serait même plutôt un répulsif pour amuse-gueule qu‘autre chose.

Le jour où j’ai vraiment réalisé que j’avais un problème fut le jour où il amena carrément la chose avec lui pour une balade. Vous m’avez bien entendu: il a emmené le cactus en promenade. Il n’avait jamais fait cela auparavant. Même pas avec le lis tigré qui était pourtant un beau petit brin de fleur. Évidement, il m’emmena aussi, mais tandis que Malcolm, cette espèce de racine hypertrophiée, eût le privilège insigne d’être transporté par Neville au grand air et de savourer la vue, je dus y aller en restant au fond de sa poche, en compagnie du mouchoir morveux. Voyager dans la poche (même avec le mouchoir contaminé) ne me dérange pas habituellement puisque l’endroit est chaud, humide et confortable, mais je n’aime pas savoir que quelque chose d’autre bénéficie d’un traitement de faveur. Cela me donne le sentiment d’être négligé, indésirable et malaimé.

Je pense que Neville sentît un certain degré de tension car, un soir, il nous assit tous les deux l’un en face de l’autre et nous demanda d’être amis, pour l'amour lui. Évidement, il y avait peu de chance que cela arrive un jour. J’ai toutefois essayé, pour Neville: je m’avança jusqu'à l'être séveux, étendit ma palme en signe d’amitié et lui offrit de former une alliance, mais tout ce que je reçu en retour fut une giclé de cette horreur qu'ils prennent pour de la sève en plein dans la figure. Répugnant. Notre Malcolm n'a décidément pas la moindre pointe de finesse. Mais l’humiliation qui couronna le tout ne fut que quand Neville éclata de rire. Il ne s’était encore jamais moqué de moi auparavant. Ce fut le moment où je compris que Malcom devait partir.

Alors voilà, les jeux sont fait, trêve de trêves, laissez moi vous dire qu’une guerre se prépare et que ça va barder. Oh, cervelle de mélasse peut bien être la saveur à la mode pour le moment, il a beau être le golden-boy et le petit jouet à son maître. Neville et moi avons un passé, nous avons des intérêt partagés, nous avons un respect mutuel, nous avons des organes internes et jamais, au grand jamais, un postillonneur d’immondices ne réussira à se mettre entre nous.

Ce ne sera pas facile, Neville surveille la chose jour et nuit, mais il finira bien par regarder ailleurs. Un jour, il la laissera seule et quand ce jour viendra, quand l’opportunité se présentera, Malcom sera l’objet d’un accident bien malencontreux, mais fatal. Car même l’Enfer ne peut rivaliser avec la furie d’un crapaud dédaigné...


Déclaration: Cette histoire est basée sur des personnages et des situations qui sont la propriété de J.K. Rowling, de plusieurs éditeurs incluant, mais non exclusivement, Bloomsbury, Scholastic et Gallimard, et de Warner Bros Inc. Aucun profit n'est fait et aucune infraction aux droits d'auteurs ou aux marques déposées n'est voulue.
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